Bien des gens attachés à l’Église catholique romaine peuvent éprouver cette sensation. Tout se déglingue en même temps : les vocations, les revenus, les ressources, le vieillissement, la crédibilité, le manque de foi, la morale. Et cela, sans parler des révélations et des scandales, qui se multiplient.
Le sociologue Martin Meunier a démontré que le catholicisme, tel que nous l’avons connu, sera sous peu un vestige du passé. « Ce n’est pas tant la fin de l’Église au Québec que la fin du lien particulier que la culture québécoise avait continué d’entretenir avec le catholicisme. »[i]
Les anciens et les baby-boomers laissent place, en effet, à des générations qui n’auront aucunement fréquenté l’Église et qui la connaîtront surtout pour ses scandales et ses errances. Ainsi la signification des rites, des pratiques et combien plus encore des doctrines est en voie d’échapper à nos contemporains.
Les « Y » et les « milléniaux », indifférents aux repères traditionnels, accélèrent cette transformation du paysage religieux. D’autres qui se disaient encore catholiques, bien que « non pratiquants », de même qu’une bonne partie des baptisés qui demeuraient installés dans un catholicisme culturel, comme marqueur d’identité, se dissocient également de cette appartenance devenue indésirable jusque dans ses rites funéraires.
C’est pourtant ce modèle de christianisme qui a bercé ma croissance, mon adolescence et ma vie d’adulte avec des rites, des engagements, de l’accompagnement, parfois même une communauté de soutien. Ce qui en subsiste n’accompagnera dorénavant qu’une minorité avec des moyens de plus en plus pauvres.
Une Église dispersée
Devenir minoritaire, c’est ce qui est en train d’arriver à l’Église d’ici. C’est loin d’être habituel pour les catholiques du Québec. Mais c’est courant ailleurs. Il existe en effet beaucoup de croyants dans le monde qui vivent en situation de minorité.
Juifs, chrétiens d’Orient et, plus récemment, les chrétiens évangéliques ont connu plus que nous cette expérience de la minorité. Et ils semblent la vivre dans une sérénité étonnante, même quand ils se trouvent plus ou moins menacés. Pensons aussi aux communautés ecclésiales de base, notamment au Chili durant la période Pinochet. C’était comme si une autre Église s’était formée en marge de la grande, catholique, majoritaire, bien ancrée dans la vie sociale et complice du pouvoir. Les missionnaires d’ici qui ont vécu cette époque en parlent comme d’une expérience ecclésiale fascinante et puissamment féconde dans la vie des pauvres.
La principale particularité des communautés minoritaires réside dans un fort sentiment d’appartenance et une solidarité bien réelle. Se sentant à risque d’être isolées et de voir leur foi fragilisée, elles manifestent plus naturellement une tendance à intensifier leurs relations fraternelles et à se serrer les coudes. Nous pouvons nous laisser inspirer par ces modèles, mais il nous revient d’inventer celui qui répondra à notre situation. Au Québec, nous avons entendu de nos évêques qu’il fallait prendre un « tournant missionnaire »[ii], devenir une « Église en sortie »[iii]. Mais le mode d’emploi n’a pas été fourni avec ces documents, ou si peu!
En réalité, peu d’entre nous résistent à l’élan de vouloir attirer les gens, des jeunes surtout, pour qu’ils nous rejoignent, comme dans un refuge où ils viendraient nous conforter dans notre identité croyante. La logique demeure autoréférentielle.
Nous sommes cependant nombreux aujourd’hui à comprendre que le mandat confié par le Christ à son Église consiste peut-être davantage à « être », comme il le fût lui-même, une présence aimante, agissante et désintéressée au service du règne de Dieu.
Apprendre à devenir une minorité signifiante
La faillite du modèle « cléricaliste » dont nous avons hérité ne permet plus à l’Église d’assurer sa mission comme avant. Les baptisés, surtout ces femmes et ces hommes engagés au nom de leur foi dans différents services, groupes, communautés ne peuvent plus se contenter d’attendre passivement que la transformation vienne d’en-haut.
Cherchant d’autres modèles ecclésiaux, certain.e.s croyant.e.s comprennent que suivre le Christ ne dépend pas d’abord de leur attachement à « l’institution », mais prioritairement de leur réponse à l’appel de l’Évangile. La structure du pouvoir étant pratiquement incapable de conduire les réformes appropriées, elle sera de plus en plus ignorée par les baptisés qui, éprouvant le besoin de se rassembler, « de faire Église », finiront par s’organiser par eux-mêmes, comme c’est déjà le cas dans bien des lieux.
[i] Cité dans Antoine Robitaille, « Est-ce la fin de l’Église catholique au Québec? », Le Devoir, 3 avril 2010 (https://www.ledevoir.com/societe/286387/est-ce-la-fin-de-l-eglise-catholique-au-quebec, consulté le 9 février 2019 à 19h12)
[ii] Assemblée des évêques catholiques du Québec, « Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes. Devenir une « Église en sortie » à la suite de La joie de l’Évangile », janvier 2016.
[iii] Assemblée des évêques catholiques du Québec, « Une Église en sortie. La dimension sociale de l’évangélisation aujourd’hui », mars 2018.
0 comments on “Entrevoir une nouvelle signifiance en contexte minoritaire”